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Poids Plume, des livres poèmes de la main à la main
9 janvier 2022

Chercheur d'or

20220109_054212

Tous les matins en me levant

dans le miroir de mon carreau

je vois la ville inanimée,

les maisons sombres dans la brume,

la pluie drapant chaque passant

toile de brouillard aux néons gris.

 

À peine assis                           il faut bosser

être concis                               chaque minute compte

je vois ma montre                      je peux souffler

le temps d'une pause                 mon regard scrute

un vieux papier                          laissé pour compte

dans mon bazar                        accumulé

dernier rempart                         à la monotonie

 

Lentement les barricades s'animent

Elles s'étendent

    Elles se divisent

gagnent du terrain

voilà mon sol miné

 

mon désordre s'organise.

À chaque mois sa camisole

Quand le temps m'isole,

                adieu Ennui !

 

je voyage dans ma ville mirage

entre deux maisons de papier, je m'évade

et traque toute inconstance comme un

chercheur d'or

 

Swan Schluk, Poids plume 2021

 

Poids plume prépare sa 7ème édition.

La toute première, c'était en 2015 : en janvier, nous décidions de proposer une feuille A4 à qui voudrait s'en saisir pour faire poème, puis cadeau de son libre écrire, et nous nous engagions à publier et à diffuser gratuitement une moisson annuelle de livres-poèmes à l'image de la pluralité des paroles reçues.

Deux auteurs seulement ont honoré l'intégralité de nos appels à textes d'un livre Poids plume chaque année. Il s'agit de Bernard Ruhaud et Swan Schluk. Et ils ont réussi l'incroyable performance d'être publiés à chaque édition. (Pourtant, on n'est pas un jury facile !)

En 2015, Swan avait 12 ans.

Poids plume, il a grandi avec.

 

L'idée de Poids plume a jailli entre un jour de chaos et un jour de chorus, un jour tout noir et un jour tout blanc, de consensus bien pensé, de pansement sur déchirure, d'invitation à l'univocité.

7 ans plus tard, du chaos au KO, on n'est plus très loin, et la tentation de la parole unique est forte tant semblent éteints les phares qui autrefois nous faisaient signe lors des nuits de tempête. Les mots d'ordre font florès, il y a toujours quelqu'un pour nous dire quoi dire quoi penser comment se conduire. Autoroutes. On a disqualifié les phares et les boussoles. Les itinéraires se bétonnent dans une pensée sable et s'immortalisent dans Google Maps. Et le monde s'écroule inexorablement. Dans les vociférations médiatiques qui parlent d'autre chose, notre engouement pour la mode de l'univocité aussi délétère que la monoculture et ses apanages chimiques, dans l'indifférence générale aux naufrages en cours et à venir.

Pourtant, il y a toujours un peu d'herbe, paisiblement rebelle, entre les dalles cimentées.

Où que ça brûle, ça repousse. Tant qu'il reste une graine, du soleil et un peu d'eau, tout reste possible. S'il y a de l'humus.

Poids plume, ce n'est rien d'autre qu'une grainothèque réfugiée dans le sous-bois du verbe.

Et s'il y a de jeunes pousses qui percent à la lumière, on tâchera d'en prendre soin au long des jours à venir. La fin des jours n'est pas pour demain. Il y a des humains, des paroles et du sensible. Et nous sommes des milliards. C'est notre faiblesse, mais c'est notre force. Ils sont très peu, finalement, celles et ceux qui nous taisent, nous amoindrissent, nous aliènent au caddie, à la paye, à la plateforme, au mot d'ordre, au laisser-passer, nous couchent sous leur béton. Et ils sont très peu, parmi celles et ceux-là, à pouvoir regarder le brin d'herbe qui pousse entre les dalles cimentées, qui sait même, à en soupçonner l'existence. Celles et ceux-là, ils n'écrivent pas pour Poids plume, de toutes façons.

Nous, nous faisons une bibliothèque minuscule de toutes les paroles humbles. Ça, c'est l'humus.

Vous, vous écrivez des poèmes. Ça, c'est la graine.

Et quoiqu'il advienne, les mômes, ils grandissent. Ça, c'est l'avenir.

Le monde n'est pas près de mourir. La forêt reprendra le dessus, quelles que soient les infamies que lui font subir nos dirigeants cupides et stupides. Avec ou sans nous, elle reprendra le dessus. Poids plume est du parti de la forêt. La forêt, c'est l'entraide, la symbiose, un système équilibré ni trop ni trop peu où chacun prélève ce qu'il lui faut et jamais plus, et où la place de chacun et chacune ne saurait être remise en cause par quiconque. Soit-il ver de terre, sans dents ou sans abri, personne n'est "ceux qui ne sont riens", dans la forêt. L'humus y est fondamental. Tapis de vie souterraine, épaisseur de tout ce qui vit et de tout ce qui a vécu pour nourrir ce qui vivra.

Notre littérature, en Poids plumie, c'est de l'humus pour le poème.

Allez, venez, on va s'en remettre. Venez, on va fleurir, encore. On va le bâtir ensemble, l'avenir en commun, sur le tapis d'humus que font toutes celles et ceux qui nous ont précédé·e·s, de luttes, de carnets secrets, de samizdat, de refus, de marches inexorables pour l'équité et le droit de chacun, chacune, à la vie, la considération, le droit de cité. Pour la vie, sans manigance, sans compromis, pour un nous qui vaudra mieux qu'un je, toujours, comme en forêt (un je, en forêt, il meurt). Sans concession pour les lessives vertes et les semblants de renoncements à la vie carbonée, les inepties technologiques qui nous vendent du rêve digital au prix des terres rares, au prix du ventre du monde sacrifié, des enfants dans les mines, des rejets toxiques, des souillures libérales cachées dans le rutilant des vitrines à vomir.

Allez, venez, on va s'en remettre, du dressage des tous contre les moins nombreux. Qu'est-ce qu'on oublie de soi lorsqu'on fait chorus pour une appartenance ? Qu'est-ce qu'on renie de soi quand on aboie sur l'autre parce qu'il n'est pas pareil, ne pense pas pareil, ne vote pas pareil, ne mange pas pareil, ne prie pas pareil ? Qu'est-ce qu'on oublie de soi dès lors que l'on clive le "nous" pour qu'il devienne un "contre" les autres ?

Allez, venez, on va s'en remettre. On va poursuivre le petit sentier. On s'écoutera, toutes, tous et chacun, chacune. On se respectera même quand on ne sera pas d'accord. Et même, ver de terre, fourmi, papillon, chat, musaraigne, renard et chouette effraie, on fera un petit bout de vie ensemble même si pas pareil sans prélever plus que ce dont on a besoin. Sans accumuler. Sans juger sans préjuger. Non, le chasseur n'est pas forcément un con. Non, le sauvage qui vole au-dessus de la basse-cour n'est pas implicitement oublieux de ses père et mère. Non, le non-vacciné n'est pas nécessairement un irresponsable. Qui définit le con, le sauvage, l'irresponsable ? Qui définit qui en vertu de quelle norme et en brandissant quelle vérité ?

Qui fait le mot que les humains s'échangent entre eux depuis la nuit des temps pour faire humanité et reconnaissance, juste après le regard, le sourire et le rire ?

C'est nous, c'est toi. Toi qui écris et qui offres pour être lu·e. Toi qui chantes pour apaiser l'inquiétude d'un enfant à l'approche de la nuit. Toi qui inventes une histoire. Toi qui écris à un aimé à l'autre bout du chemin du facteur. Toi qui déclames à la veillée. Toi, fredonnement, chanson ancienne ou cri de joie. Toi qui dis "pour rien", pour ne rien dire, pour le plaisir, pour de rire, pour pas sérieux, pour l'amour, pour sans conséquence, pour pas la comm, pas la notoriété, toi qui dis juste pour dire. Toi qui dénonces, toi qui t'insurges, toi qui refuses, toi qui sous le manteau. Toi qui survis, toi qui radeau, toi qui dans la main, le relais, pour les enfants, demain, comme un petit caillou, petit poucet, le chemin. Veilleurs, veilleuses.

En Poids plumie, la nuit apporte des poèmes. Et foi de cueilleuse, c'est plus encourageant que le fil info des chaînes continues.

Non, le jour ne va pas mourir.

Si, il reste des gens pieds-nus avec des portes ouvertes et des recettes de pain.

Tout petits, tout petits. Faire humus pour la forêt à renaître.

Angélique Condominas

 

 

 

 

Swan Schluk, Poids plume, Florilège

 

Je marche

Je marche sur un miroir

je m'enfonce je me mouille

Et sur ce miroir un arbre pleureur gît au milieu des flaques.

L'eau attaque !

Elle engloutit les nénuphars, les poissons et les mares.

Sur ce miroir il y a aussi le ciel

L'infime univers.

Swan, 12 ans, Et là-bas, Poids plume 2015

 

(...)

Dans ce qu'il reste du faucon embrasé

Un moineau de feu puis un aigle de soleil

son plumage parsemé de flammes roses.

 

Il me regarde et s'envole vers les étoiles

pour faire place à une nouvelle lune

 

Une lune rouge

 

Swan, 13 ans, Dans le ciel, Poids plume 2016

 

 

Élèves !

 

Une feuille, pleine de pauvres ennuis amers

aux quelques cliquetis incessants des stylos

Parole, aux nuages d'acier

fait vibrer les affiches endormies.

Gaîté volée à ces heures perdues

qui coule

 

Épris de liberté

cette heure

ce sable

à façonner !

 

Cette conscience à délabrer !

Ô détenteur de vérité !

Ô détenteur de liberté !

 

Élèves ! Vos papiers !

 

Swan, 14 ans, Élèves, Poids plume 2017

 

(...)

De l'incision dans la voile du bateau

S'échappe en bulles d'air

Un beau ciel pur d'un azur net

 

Sous l'amas des nuages

Seuls sur tout un tribord

S'arrachent les oubliés

 

Swan, 15 ans, Seltz, Poids plume 2018

 

 

Cordes de bruit

et cordes à vide

Tissent les pelotes en papier

L'écharpe hier fil emmêlé

Chauffe de notes l'air frigide

(...)

Swan, 16 ans, Corde de bruit, Poids plume 2019

 

 

 

 

 

 

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